Dans le monde contemporain, la pop culture n’est plus une simple distraction : elle est un langage global. Les films Marvel façonnent la manière dont des générations entières pensent le courage et la justice, les mangas japonais influencent le style visuel et narratif de créateurs du monde entier, et les séries télévisées américaines modèlent les rêves de millions de spectateurs. Pourtant, dans ce concert culturel mondialisé, l’Afrique demeure souvent spectatrice ou, pire encore, réduite à des clichés.
La question n’est plus de savoir si l’Afrique a une culture populaire, elle en a toujours eu une, mais de comprendre pourquoi celle-ci peine à s’imposer dans l’arène mondiale et comment la libérer de l’imitation pour construire une identité originale, assumée et universelle.
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ToggleI. Héritage colonial : quand l’imaginaire a été confisqué
Durant la période coloniale, l’enseignement et les médias ont imposé un univers culturel étranger. Les enfants africains ont appris Racine, Molière et Victor Hugo, mais rarement les épopées de Soundjata Keïta, les récits des pharaons ou les légendes Yoruba. Ce déséquilibre a forgé une hiérarchie implicite : la culture venue d’Europe ou d’ailleurs valait plus que celle produite localement.
Cette logique se poursuit aujourd’hui. Les salles de cinéma africaines diffusent majoritairement Hollywood et Bollywood, les jeunes dessinent à la manière des mangakas japonais, et les plateformes de streaming mettent en avant des contenus étrangers. L’imaginaire africain n’est pas absent, mais marginalisé, comme si ses récits n’étaient pas dignes de nourrir la modernité.
II. Les dangers de l’imitation : quand la copie efface l’originalité
Nombre de créateurs africains, fascinés par le succès des industries étrangères, reproduisent leurs codes : des « Superman africains », des « mangas made in Africa » qui se contentent d’ajouter une touche de décor local. Mais à force de s’aligner sur des modèles dominants, la créativité se vide de sa substance.
Nollywood, l’industrie cinématographique nigériane, a prouvé qu’on pouvait produire massivement et conquérir un public local sans dépendre de Hollywood. Mais une partie de ses productions initiales souffrait d’un mimétisme excessif (telenovelas, drames familiaux calqués sur des schémas occidentaux). Ce n’est que lorsqu’elle a commencé à assumer ses codes propres, humour, oralité, spiritualité, dynamiques sociales locales, qu’elle a trouvé sa force et son rayonnement international.
III. Puiser dans les racines africaines
L’Afrique regorge de récits fondateurs. Les divinités Yoruba (Shango, Ogun, Oshun) portent en elles une symbolique universelle, comparable aux dieux grecs ou nordiques. Les Dogons du Mali proposent une cosmogonie d’une richesse cosmologique stupéfiante. Pourtant, combien de superproductions mondiales s’en inspirent ? Très peu.
Exemple : la BD Kwezi de l’artiste Loyiso Mkize en Afrique du Sud revisite la figure du super-héros en l’ancrant dans des réalités urbaines africaines.
Reines et guerriers africains sont des héros en puissance : Yaa Asantewaa (Ashanti), Behanzin (Dahomey), Soundjata (Mali), ou encore Tenkamenin (Ghana). Ce sont des figures dignes d’épopées cinématographiques, au même titre qu’Alexandre le Grand ou Jeanne d’Arc.
Exemple : le film The Woman King (2022), bien que produit à Hollywood, a mis en lumière les Agojie du Dahomey. Mais pourquoi attendre Hollywood pour raconter nos propres histoires ?
Le conte africain, transmis par les griots, propose une structure différente du schéma hollywoodien classique (introduction, climax, résolution). Les proverbes, les détours narratifs, l’humour et la musicalité peuvent nourrir de nouvelles esthétiques d’écriture et d’animation.
IV. Vers une pop culture africaine assumée
Il ne s’agit pas de rejeter les influences mondiales, mais de les métisser. L’afrofuturisme, popularisé par des artistes comme Sun Ra, Janelle Monáe ou l’écrivaine Nnedi Okorafor (africanfuturisme dans le cas de cette dernière), illustre cette voie : il imagine des futurs où la technologie et la spiritualité africaine coexistent.
Exemple : le collectif Leti Arts au Ghana et AGO Fiction au Togo développe des jeux vidéo et des comics inspirés des légendes africaines, mais présentés avec une esthétique contemporaine.
La jeunesse africaine vit des réalités propres : urbanisation rapide, tensions entre tradition et modernité, mobilité diasporique. Ces thèmes, mis en récit, peuvent donner naissance à une pop culture singulière.
Exemple : Aya de Yopougon de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, une BD qui a conquis le monde en racontant simplement le quotidien d’une jeunesse ivoirienne dans les années 70.
L’un des plus grands défis reste la dépendance aux circuits étrangers. Développer des plateformes locales (comme irokoTV pour Nollywood), des festivals (Fespaco, Festival Insternational Gbaka Animation, Dak’Art, Lomé International Comic Con), et du financement participatif est essentiel pour bâtir une industrie indépendante.
V. Décoloniser, c’est universaliser autrement
Le succès planétaire de Black Panther a prouvé que l’Afrique pouvait inspirer des récits populaires universels. Mais ce film reste un produit Marvel, pensé par Hollywood. La prochaine étape doit être des histoires africaines racontées par des Africains.
Ce qui a fait la force du manga japonais ou du cinéma coréen, c’est qu’ils n’ont pas cherché à plaire à l’Occident, mais à raconter leur propre réalité. C’est en assumant leurs codes que leurs œuvres sont devenues universelles. L’Afrique doit emprunter cette voie.
Décoloniser l’imaginaire, c’est redonner aux créateurs africains la confiance et les moyens de bâtir leurs propres récits. Ce n’est pas rejeter l’influence mondiale, mais refuser la soumission au mimétisme. C’est affirmer que l’Afrique a des histoires dignes d’être racontées, des mythes à réinventer, des héros à célébrer et des futurs à inventer.
L’Afrique n’a pas seulement une histoire : elle a des futurs multiples à offrir. Mais pour les écrire, elle doit cesser d’imiter et oser s’assumer.
