Imaginez un instant que tout le monde danse sur un morceau qui vous accuse d’être un péd0phile. Pire encore, ce morceau est l’œuvre de votre plus grand rival, un rappeur avec qui vous êtes en guerre depuis une décennie. Bienvenue dans le clash de la décennie : Kendrick Lamar contre Drake. Depuis huit mois, la scène hip-hop ne parle que de cela, et le point culminant a été atteint avec les Grammy Awards et la performance du Super Bowl de Kendrick Lamar, qui a achevé d’asseoir sa domination sur son adversaire.
Mais comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui a transformé cette compétition artistique en guerre ouverte ? Plongée dans un conflit où tous les coups sont permis.
1. Aux origines du conflit : Une rivalité décennale
L’affrontement entre Drake et Kendrick Lamar ne date pas d’hier. Depuis leurs débuts, les deux artistes se disputent la place de numéro un du rap game. D’un côté, Drake, le hitmaker canadien qui a régné sur l’industrie musicale pendant plus d’une décennie, multipliant les records et les collaborations. De l’autre, Kendrick Lamar, puriste du rap, encensé par les critiques et adoubé par les plus grandes légendes du genre.
Le premier signe de cette rivalité remonte à 2011, lorsque Drake invite Kendrick Lamar sur sa mixtape Take Care. Kendrick, encore en pleine ascension, se distingue par son talent lyrique et sa plume affûtée. Mais déjà, l’on sent une tension latente entre les deux artistes. Drake se positionne en mentor, tandis que Kendrick affiche une ambition dévorante.
En 2013, la situation s’envenime avec le morceau Control. Dans ce titre, Kendrick Lamar délivre un couplet devenu mythique, où il revendique son statut de « King of New York » et déclare ouvertement vouloir surpasser tous ses rivaux, y compris Drake. Cette provocation marque un tournant. Drake, d’habitude stratège et calculateur, réagit avec froideur en minimisant l’impact du couplet. Mais en coulisses, il perçoit la menace que représente Kendrick.
Les années suivantes sont marquées par des tensions sous-jacentes. Kendrick Lamar continue d’affiner son art, enchaînant des albums acclamés comme To Pimp a Butterfly et DAMN.. De son côté, Drake réussit à dominer les charts avec ses tubes planétaires, construisant un empire musical quasi intouchable.
Mais les hostilités réelles ne commencent qu’en 2023, lorsque Kendrick décide de ne plus jouer la carte de l’indifférence. Il s’attaque frontalement à Drake, accumulant les piques dans ses morceaux et multipliant les apparitions avec des artistes qui affichent une animosité grandissante envers le Canadien. La guerre froide se transforme alors en confrontation directe, et l’industrie musicale se divise en deux camps.
2. Metro Boomin : Le stratège de l’ombre
L’un des grands artisans de cette guerre n’est autre que Metro Boomin, l’un des producteurs les plus influents du rap américain. En coulisses, il joue un rôle clé en rassemblant des artistes hostiles à Drake sur son album. La tension atteint son paroxysme lorsqu’en 2019, un projet commun entre Metro Boomin, Future et Drake est avorté. La raison ? Drake aurait préféré collaborer avec 21 Savage, provoquant la colère du producteur et de ses alliés.
En mars 2024, Metro Boomin lance officiellement la guerre en s’alliant avec Future, ASAP Rocky, The Weeknd et surtout Kendrick Lamar. Ce dernier va alors déployer une stratégie redoutable pour mettre Drake à genoux.
Le point de rupture public s’est cristallisé à travers plusieurs signaux clairs :
- Absence de collaboration avec Drake : Contrairement à d’autres producteurs qui jonglent entre les camps, Metro Boomin s’est tenu à l’écart des projets du Canadien ces dernières années, privilégiant des artistes avec qui Drake a eu des différends.
- Sous-entendus et piques sur les réseaux sociaux : À plusieurs reprises, Metro Boomin a alimenté les tensions en likant ou repostant des contenus critiquant Drake, sans jamais le nommer directement.
- La sortie de Her Loss et We Don’t Trust You : L’album Her Loss de Drake et 21 Savage a marqué un tournant dans cette guerre froide. Bien que Metro ait déjà collaboré avec 21 Savage sur de nombreux projets, il n’était pas impliqué dans cet album, ce qui a été perçu comme une prise de distance. En réponse, lui et Future ont dévoilé We Don’t Trust You, un projet chargé de sous-entendus visant Drake.
3. La riposte de Kendrick : Not Like Us, le coup de massue
Après des semaines d’échanges de diss-tracks entre Kendrick Lamar et Drake, la tension atteint son apogée lorsque Kendrick lâche Not Like Us le 3 mai 2024. Ce morceau, produit par Mustard, est immédiatement perçu comme un tournant décisif dans cette guerre lyricale. Là où ses précédents titres (Euphoria, 6:16 in LA) adoptaient un ton plus cinématographique et introspectif, Not Like Us frappe avec une énergie brute et festive, transformant l’affrontement en un véritable moment culturel.
Dès les premières secondes, le beat West Coast bondissant produit par Mustard annonce la couleur : Not Like Us ne sera pas un simple diss-track, mais un hymne, une célébration de la suprématie de Kendrick sur Drake. Contrairement aux instrumentales plus sombres et minimalistes de ses autres attaques, ce morceau est conçu pour être joué en boucle, dans les clubs, les rues et les voitures, amplifiant son impact bien au-delà des cercles de fans de rap hardcore.
Kendrick y déroule des accusations cinglantes contre Drake, l’accusant d’être un outsider dans le game, un opportuniste qui exploite la culture hip-hop sans en faire réellement partie. Il tourne en dérision l’image de Drake en tant que séducteur, insinuant qu’il serait plus un « prédateur » qu’un playboy. Il joue aussi sur l’idée que Toronto n’est pas une véritable menace pour Los Angeles, réaffirmant son territoire et son statut de roi de la West Coast.
Un impact immédiat et une humiliation publique
En quelques heures, Not Like Us devient viral. Les clubs et les block parties de Los Angeles en font leur bande-son, les fans se filment en train de danser et de rapper les paroles, et même des personnalités influentes du rap s’en mêlent. L’effet est dévastateur pour Drake : alors que ses propres diss-tracks (Family Matters, The Heart Part 6) peinent à captiver l’attention du public, Not Like Us devient une véritable arme culturelle contre lui.
Les réseaux sociaux s’embrasent : des mèmes inondent Twitter et Instagram, renforçant l’image de Kendrick en tant que vainqueur incontesté. Même des figures neutres de l’industrie commencent à admettre que Drake a pris un sérieux coup. Pire encore, des vidéos virales montrent des gens dans des clubs de Toronto en train de danser sur le morceau, ce qui symbolise l’étendue de la défaite.
Le coup fatal ?
Avec Not Like Us, Kendrick ne se contente pas de répondre à Drake : il l’humilie publiquement. Là où les diss-tracks précédents pouvaient encore laisser place à l’interprétation ou à des débats entre fans, ce morceau devient un hymne de célébration de la chute de Drake. Certains observateurs considèrent même que Not Like Us est l’équivalent moderne du Ether de Nas contre Jay-Z, une attaque si puissante qu’elle laisse une cicatrice durable sur la carrière de son adversaire.
Face à cette offensive, Drake tente une réponse avec The Heart Part 6, mais le public n’accroche pas. L’énergie, la viralité et l’exécution parfaite de Not Like Us ont déjà scellé son sort. À ce stade, il ne s’agit plus d’un simple clash, mais d’un véritable tournant dans la perception du public : Drake, longtemps vu comme intouchable, vient de subir l’une des plus grandes défaites publiques de l’histoire du rap. Le timing est parfait : la performance de Kendrick au Super Bowl vient sceller son triomphe.
4. La contre-attaque maladroite de Drake
Blessé, Drake tente de réagir avec le morceau Push-Ups, il y qualifiait Kendrick de « petit » dans l’industrie, insinuant qu’il n’avait jamais eu autant d’influence que lui. Mais il commet aussi une erreur fatale : il franchit une limite en s’attaquant à la femme de Kendrick Lamar. Une démarche qui rappelle sa défaite face à Pusha T en 2018, lorsqu’il avait involontairement révélé l’existence de son fils caché.
Mais très vite, le morceau a été jugé trop léger par les fans et les critiques. Contrairement aux attaques percutantes de Kendrick, Push Ups manquait de profondeur et d’impact. Il donnait davantage l’impression d’une provocation enfantine qu’une véritable contre-offensive. Pour beaucoup, Drake n’avait pas réussi à égaler l’intensité du clash initié par son rival.
Ce faux pas donne l’avantage à Kendrick Lamar, qui retourne la situation avec un autre titre percutant, exposant au passage les stratagèmes de Drake pour discréditer ses rivaux en payant des informateurs.
« Family Matters » : Un coup d’épée dans l’eau
Quelques jours plus tard, Drake a tenté de reprendre l’avantage avec Family Matters, un diss track censé exposer Kendrick Lamar sous un jour peu flatteur. Il y évoquait notamment des tensions internes au sein de TDE et insinuait que Kendrick n’était pas aussi intègre qu’il le prétendait.
Toutefois, le morceau a rapidement été éclipsé par la réponse cinglante de Kendrick, Meet The Grahams. Ce titre a frappé un grand coup en exposant non seulement les failles de Drake en tant qu’artiste, mais aussi en attaquant directement sa vie personnelle. La stratégie de Kendrick a alors pris le dessus : plutôt que de répondre aux attaques sur son intégrité, il a redirigé la conversation vers les faiblesses de Drake, notamment en évoquant des scandales familiaux et des tensions avec son entourage.
Un retour de flamme incontrôlé
La maladresse de Drake dans cette contre-attaque ne s’est pas seulement ressentie dans ses morceaux, mais aussi dans sa gestion médiatique du clash. Contrairement à Kendrick, qui a laissé sa musique parler pour lui, Drake a tenté d’utiliser les réseaux sociaux pour influencer le narratif en sa faveur. Il a notamment partagé des messages sur Instagram et a essayé de tourner Kendrick en ridicule, ce qui a donné l’impression qu’il cherchait désespérément à minimiser l’impact des diss tracks de son rival.
Pire encore, certains fans ont perçu cette attitude comme une tentative d’esquiver le clash sur le plan musical. Pendant que Kendrick accumulait les punchlines acérées et les morceaux marquants, Drake semblait plus préoccupé par l’image qu’il renvoyait sur les réseaux sociaux que par la qualité de ses réponses musicales.
L’effet boomerang
Le résultat de cette contre-attaque maladroite a été sans appel : non seulement Drake n’a pas réussi à affaiblir Kendrick, mais il a donné à son rival encore plus de matière pour l’attaquer. Loin de restaurer son image, Family Matters et Push Ups ont exposé ses limites dans une guerre de rap où l’authenticité et la force des paroles priment sur le divertissement grand public.
Dans l’histoire du rap, une mauvaise réponse à un clash peut enterrer une réputation. Si certains fans continuent de défendre Drake, beaucoup considèrent que son incapacité à répondre efficacement à Kendrick marque un tournant dans sa carrière. Désormais, la question se pose : pourra-t-il rebondir après ce revers, ou restera-t-il dans l’ombre de cette rivalité légendaire ?
5. La consécration de Kendrick Lamar
Si la rivalité entre Kendrick Lamar et Drake s’est nourrie de tensions et de sous-entendus pendant des années, elle a aussi servi de catalyseur pour propulser Kendrick vers le statut d’icône incontestée du rap. Ce chapitre de leur duel marque le moment où l’artiste de Compton dépasse définitivement le simple rôle de challenger pour s’imposer comme l’un des plus grands rappeurs de sa génération.
Après l’impact colossal de good kid, m.A.A.d city en 2012, qui a fait de lui une figure majeure du hip-hop, Kendrick Lamar poursuit son ascension avec des projets toujours plus ambitieux. En 2015, il sort To Pimp a Butterfly, un album révolutionnaire mêlant jazz, funk et rap conscient, qui dépasse le simple cadre du hip-hop pour devenir un véritable manifeste culturel et politique. Acclamé par la critique, ce projet lui permet d’asseoir sa réputation d’artiste engagé et visionnaire.
Pendant ce temps, Drake enchaîne les hits et domine les charts, mais son approche est bien différente : il mise sur l’accessibilité, l’efficacité commerciale et une omniprésence médiatique, tandis que Kendrick s’inscrit dans une démarche plus artistique et introspective. Deux styles, deux visions du rap, mais une rivalité qui s’intensifie en filigrane.
La sortie de DAMN. : Kendrick franchit un cap
En 2017, DAMN. marque une nouvelle étape dans la carrière de Kendrick Lamar. Moins expérimental que To Pimp a Butterfly, l’album revient à un style plus brut et percutant, avec des morceaux comme HUMBLE., DNA. et ELEMENT. qui affirment sa maîtrise totale du rap. Ce projet est un véritable triomphe : il remporte le Prix Pulitzer de la musique, une distinction jamais accordée à un rappeur auparavant.
Ce succès consacre définitivement Kendrick comme un artiste à part, capable de transcender son propre genre musical. Comparé à Drake, qui reste une superstar mondiale mais est parfois critiqué pour sa stratégie de hits formatés, Kendrick apparaît comme l’incarnation du rap authentique et profond.
Les distinctions et la reconnaissance unanime
Kendrick Lamar accumule les distinctions : il remporte plusieurs Grammy Awards, ses albums sont analysés en université et ses textes deviennent des références culturelles. Il est aussi sollicité pour des projets prestigieux, notamment la bande-son du film Black Panther en 2018, qui renforce encore son influence.
Pendant ce temps, Drake continue d’occuper le sommet des classements et d’étendre son empire commercial. Pourtant, en termes de reconnaissance artistique pure, Kendrick semble avoir pris l’avantage. Sa capacité à conjuguer succès critique et impact culturel le place sur un piédestal, et beaucoup commencent à voir en lui le « vrai » meilleur rappeur de sa génération.
L’ombre de la rivalité : Drake peut-il encore rivaliser ?
Bien que Drake reste immensément populaire, une partie du public et de la critique commence à percevoir une différence de standing entre les deux artistes. Si Drake est un hitmaker incontesté, Kendrick est devenu un maître du storytelling et un artiste dont chaque projet est un événement majeur.
C’est à ce moment que la rivalité, jusque-là latente, commence à prendre une nouvelle tournure : Drake, déstabilisé, qui peine à convaincre son public qu’il reste maître du jeu, peut-il encore prétendre être le numéro un face à un Kendrick qui accumule les distinctions et les succès critiques ? La question reste ouverte, et la confrontation semble inévitable…
Ce clash aura-t-il une fin ? L’histoire du rap montre que les rivalités peuvent durer toute une carrière. Mais une chose est sûre : Kendrick Lamar a réussi l’impensable en faisant vaciller l’empire Drake.
Si Drake a régné sans partage pendant plus d’une décennie, Kendrick Lamar vient de prouver qu’aucun trône n’est à l’abri d’un putsch bien orchestré. Et si le Canadien veut rebondir, il devra revoir sa stratégie pour survivre dans un rap game impitoyable.
