« Il était une fois un petit poisson rouge qui rêvait de devenir humaine… » Parmi les merveilles issues de l’imaginaire de Hayao Miyazaki, Ponyo sur la falaise est souvent perçu comme une œuvre mineure, plus « enfantine », presque naïve. Et pourtant, ce film recèle une richesse rare, une profondeur insoupçonnée et une beauté visuelle qui le hissent, selon moi, au sommet de la filmographie du Studio Ghibli. Là où Le Voyage de Chihiro émerveille par sa complexité onirique et Princesse Mononoké impressionne par son souffle épique, Ponyo enchante par sa simplicité maîtrisée et son émotion pure.
Ce n’est pas seulement un film pour enfants. C’est un conte philosophique, un manifeste écologique, un poème animé.
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ToggleUne prouesse d’animation traditionnelle, vivante et organique
Ponyo a été entièrement animé à la main, sans recours à l’infographie moderne. Dans une industrie cinématographique de plus en plus standardisée et numérisée, ce choix relève presque de la résistance artistique.
Chaque mouvement de l’eau – omniprésente et presque personnifiée – est animé image par image. Il en résulte une mer mouvante, capricieuse, émotionnelle. Miyazaki et son équipe ont mobilisé plus de 170 000 dessins faits à la main, un record pour Ghibli. Ce foisonnement visuel, aux contours parfois volontairement instables, évoque un univers liquide, fluide, en perpétuelle transformation.
L’animation ne cherche pas la perfection technique, mais l’expressivité. Les vagues deviennent des créatures, les tempêtes traduisent l’émotion de Ponyo. La nature n’est pas décor, elle est personnage.
Un conte limpide à double lecture
Inspiré librement de La Petite Sirène d’Andersen, Ponyo raconte l’histoire d’un poisson rouge, Ponyo, qui rêve de devenir humaine après avoir rencontré un petit garçon, Sôsuke. Mais ce récit simple cache une richesse symbolique dense.
Derrière la simplicité du scénario se dessinent des thématiques universelles : la métamorphose, le libre arbitre, le passage de l’enfance à la maturité, l’altérité, le pouvoir de l’amour inconditionnel. Ponyo renonce à sa nature pour rejoindre l’humain, mais ce n’est pas un sacrifice romantique : c’est un acte de foi, d’innocence, de confiance absolue dans l’autre.
Loin des récits initiatiques classiques, Ponyo ne juge pas, ne punit pas. Il célèbre la liberté d’exister.
Une innocence assumée, un regard d’enfant sur le monde
Ce qui distingue Ponyo des autres Ghibli, c’est son ton volontairement enfantin, mais jamais infantile. Miyazaki adopte ici le point de vue d’un enfant de 5 ans, sans ironie ni recul. Le spectateur adulte est alors invité à désapprendre, à abandonner le cynisme, à se reconnecter à une perception immédiate, intuitive, du monde.
Sôsuke ne questionne pas le surnaturel, il l’accueille. Il ne cherche pas à comprendre Ponyo, il l’accepte. Cette capacité à aimer sans condition, à faire confiance sans preuve, donne au film une charge émotionnelle rare. C’est un retour à la pureté de l’expérience humaine.
Une fable écologique douce, mais percutante
La mer est en colère. Les équilibres naturels sont rompus. Le père de Ponyo, Fujimoto, alchimiste excentrique, s’efforce de préserver les océans de la pollution humaine, mais c’est l’amour de Ponyo qui provoque le chaos. Cette tension entre nature et humanité, chère à Miyazaki, est ici abordée sans manichéisme.
Pas de morale assénée, pas de didactisme. Le film montre, suggère, laisse le spectateur ressentir l’urgence écologique. Il nous rappelle que la nature est vivante, puissante, et que la seule façon de la respecter est de vivre en harmonie avec elle, pas de la dominer.
Une bande-son enchanteresse signée Joe Hisaishi
Joe Hisaishi, compositeur fétiche de Ghibli, livre ici une partition sublime. Inspirée de la musique classique occidentale, notamment de Wagner et Debussy, la bande-son de Ponyo épouse parfaitement les mouvements de l’eau et les émotions des personnages.
Le thème principal, joyeux et répétitif, évoque une comptine enfantine, mais se transforme en véritable épopée symphonique lors des scènes de tempête. Hisaishi utilise l’orchestre comme un personnage à part entière, amplifiant la magie de chaque plan.
Un univers féminin fort et bienveillant
Dans Ponyo, les figures féminines sont centrales : Ponyo elle-même, créature puissante et libre ; sa mère, Granmamare, déesse majestueuse de la mer, figure de sagesse et de protection ; Lisa, la mère de Sôsuke, énergique, autonome, capable de gérer seule une tempête.
Miyazaki brosse ici des portraits de femmes déterminées, aimantes, sans jamais tomber dans les clichés. La force du féminin est omniprésente, discrète, mais indiscutable. Ce matriarcat bienveillant protège les enfants et soigne le monde.
Ponyo est un film d’apparence simple, mais d’une richesse poétique et philosophique inégalée. Il représente l’aboutissement d’une vision : celle d’un cinéma de l’émerveillement, du respect du vivant, de la sincérité.
Miyazaki, à travers ce conte enfantin, nous tend un miroir : et si l’enfance n’était pas un âge à dépasser, mais un état à retrouver ? Si Ponyo touche autant, c’est qu’il parle à ce qu’il y a de plus fondamental en nous : le besoin d’aimer, de rêver, de croire.
C’est pour cela qu’à mes yeux, Ponyo est le chef-d’œuvre ultime du Studio Ghibli.