Satoshi Kon n’a jamais eu le temps de ralentir. Après avoir révolutionné l’animation avec Perfect Blue, Millennium Actress, Tokyo Godfathers, Paranoia Agent et Paprika, il s’apprêtait à entamer un nouveau chapitre de sa carrière. Mais le destin en décidera autrement.
À 46 ans, alors qu’il travaille sur Dreaming Machine, Kon apprend qu’il est atteint d’un cancer du pancréas en phase terminale. En l’espace de quelques mois, il voit sa vie et ses projets lui échapper. Pourtant, jusqu’au bout, il restera fidèle à lui-même, laissant derrière lui un message bouleversant et un héritage impérissable.
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ToggleSon combat contre la maladie
Le 18 mai 2010, Satoshi Kon reçoit un diagnostic sans appel : un cancer du pancréas avancé. Le médecin lui annonce qu’il ne lui reste que six mois à vivre. Face à cette fatalité soudaine, Kon traverse d’abord une phase de choc. Dans une lettre d’adieu qu’il rédigera plus tard, il raconte son incrédulité face à cette mort si brutale, lui qui avait toujours été en bonne santé et plein d’énergie.
Plutôt que de s’accrocher à des traitements lourds et douloureux, il choisit de rester chez lui, entouré de ses proches, pour vivre ses derniers instants dans l’intimité. Mais cette décision s’accompagne d’un immense regret : il n’a pas le temps de terminer son dernier film, Dreaming Machine.
Jusqu’au bout, il garde son humour et son sens de l’absurde. Dans sa lettre, il écrit :
« Je pensais pouvoir mourir n’importe quand, mais je ne savais pas que ça arriverait aussi vite. »
Cette acceptation lucide de la mort, teintée de mélancolie mais aussi de sérénité, reflète toute la philosophie de Kon.
Le 24 août 2010, à 6h20 du matin, il s’éteint chez lui, à l’âge de 46 ans.
Dreaming Machine, le film inachevé
Le projet qui devait marquer un tournant
À l’époque de sa maladie, Satoshi Kon travaille sur Dreaming Machine, un film destiné à un public plus large et familial. Contrairement à ses œuvres précédentes, souvent sombres et complexes, Dreaming Machine devait être un conte d’aventure lumineux, mêlant science-fiction et émotion.
Mais si le ton se voulait plus accessible, l’ambition artistique restait immense. Kon décrivait ce projet comme une fusion entre la narration labyrinthique de Paprika et l’émotion brute de Tokyo Godfathers. L’histoire devait suivre trois robots errant dans un monde post-apocalyptique, en quête d’un passé oublié.
Un projet impossible à achever
À son décès, environ 600 des 1500 plans du film sont terminés. Masao Maruyama, son fidèle producteur, tente de trouver un réalisateur capable de reprendre le flambeau. Mais il se heurte à un problème de taille :
« Le film était dans la tête de Satoshi Kon. Lui seul pouvait le réaliser. »
Après plusieurs années d’hésitation, Maruyama abandonne définitivement l’idée de finir Dreaming Machine. Il préfère préserver l’intégrité de l’œuvre plutôt que de livrer un film qui ne correspondrait pas à la vision de Kon.
Aujourd’hui, ce projet est devenu un mythe dans le monde de l’animation, un chef-d’œuvre perdu qui ne verra jamais le jour.
L’héritage laissé derrière lui et la postérité de son œuvre
Malgré sa disparition prématurée, Satoshi Kon a laissé derrière lui une empreinte indélébile dans le monde du cinéma et de l’animation. Son style unique, mêlant réalisme psychologique, narration non linéaire et onirisme troublant, continue d’influencer de nombreux réalisateurs et artistes à travers le monde.
Un maître de l’animation japonaise
Même au Japon, peu de réalisateurs ont osé reprendre son style. Son approche singulière du montage et du rêve-éveillé est difficile à reproduire. Néanmoins, des réalisateurs comme Masaaki Yuasa (Mind Game, The Night Is Short, Walk on Girl) ou Mamoru Hosoda (Belle) affichent une influence indirecte de son travail.
Un message éternel
Dans ses films, Kon nous pousse à nous interroger sur notre perception de la réalité, sur notre identité et sur notre rapport à la société moderne. Il nous rappelle que :
- La frontière entre rêve et réalité est plus mince qu’on ne le croit.
- L’illusion peut être une fuite… mais aussi une libération.
- Nos vies sont des histoires en perpétuelle réécriture, où passé, présent et fiction s’entrelacent.
Satoshi Kon, un cinéaste intemporel
Satoshi Kon n’a réalisé que quatre films et une série, mais chacun d’eux a marqué l’histoire du cinéma. Sa disparition prématurée a laissé un vide immense, mais son héritage continue de vivre dans les esprits et sur les écrans du monde entier.
Que ce soit à travers l’inquiétante introspection de Perfect Blue, l’hommage au cinéma de Millennium Actress, le réalisme social de Tokyo Godfathers, la critique acerbe de Paranoia Agent ou l’explosion onirique de Paprika, Kon nous a offert une manière unique de voir le monde.
Il reste un réalisateur visionnaire, un artiste inclassable, et surtout, un conteur d’histoires qui savait mieux que quiconque nous faire perdre pied avec la réalité.